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Diplomatie économique suisse en transition

Les multinationales suisses s’imposent comme acteurs diplomatiques, révélant une gouvernance économique hybride en mutation.

Le chiffre sept est souvent considéré comme porte-bonheur. Dans les traditions culturelles, religieuses ou mathématiques, il symbolise l’harmonie et l’équilibre. Il a surtout marqué un moment singulier de la diplomatie économique suisse: sept personnes face à Donald Trump, dont un «Team Switzerland» composé de six dirigeants industriels dépêchés à Washington pour tenter d’atténuer la surtaxe de 39% sur les exportations helvétiques.

Ce qui a retenu l’attention des marchés financiers n’était pas tant la mise en scène diplomatique que la question sous-jacente qu’elle révélait: l’épisode de Washington signale-t-il un basculement durable du pouvoir économique en Suisse des institutions politiques vers ses leaders industriels globalisés? Ou s’agit-il d’une réaction exceptionnelle à des circonstances extraordinaires?

Les géants suisses au cœur du bras de fer

Cette interrogation survient alors que les entreprises suisses occupent une position centrale dans les chaînes de valeur mondiales. Nestlé, Roche, Novartis, ABB, Holcim, Richemont, Lonza, Sika ou Partners Group opèrent à une échelle dépassant largement les frontières nationales.

Collectivement, les entreprises du SMI génèrent bien plus de la moitié de leurs revenus hors d’Europe. Les Etats-Unis constituent, pour nombre d’entre eux, le marché le plus stratégique. Des dizaines de milliards par an pour les pharmas, une dépendance structurelle des fabricants de précision envers les cycles d’investissement américains, et un rôle décisif de la demande américaine pour les groupes de luxe, y compris des acteurs privés comme Rolex.

L’annonce d’une surtaxe de 39% au 1ᵉʳ août 2025 — avec l’exception notable du secteur pharmaceutique — a ainsi exposé tout le tissu industriel suisse. Elle a surtout mis en lumière les limites d’une diplomatie helvétique historiquement consensuelle, peu préparée à gérer une confrontation tarifaire d’une telle intensité.

Une diplomation d'un nouveau genre

Face à l’urgence, les CEO suisses ont rapidement compris qu’une approche diplomatique classique ne suffirait pas.

Les entreprises suisses, grâce à leurs réseaux globaux et leur agilité opérationnelle, disposaient d’un levier de négociation que l’Etat ne pouvait égaler: sites de production, plateformes logistiques, investissements directs, et des dizaines de milliers d’emplois répartis sur plusieurs Etats.

C’est précisément cette présence qui a permis de bâtir, un plan de réponses calibré sur les attentes de l’administration américaine. Les engagements mis sur la table allaient du transfert partiel du raffinage des métaux précieux vers les Etats-Unis, à la planification d’investissements pharmaceutiques supplémentaires, en passant par des ajustements dans les circuits d’achat d’aéronefs destinés à améliorer l’apparence du solde commercial bilatéral.

Ces initiatives, concrètes ou comptabilisées, répondaient plus efficacement aux attentes américaines que les mécanismes de négociation diplomatique traditionnels. Elles traduisaient une capacité d’action directe que l’État ne pouvait offrir.

Le résultat fut significatif: mémorandum d’accord plafonnant les tarifs à 15%. Et une conclusion implicite: une réussite obtenue en quelques jours par sept dirigeants industriels, là où l’appareil étatique helvétique avait échoué en plusieurs semaines.

Vers une nouvelle gouvernance économique ?

La question n’est désormais plus de savoir si l’épisode de Washington fut exceptionnel, mais ce qu’il révèle de la manière dont la Suisse devra gérer sa puissance économique dans un monde devenu ouvertement transactionnel.

La séquence américaine n’a pas seulement exposé un rapport de force: elle a mis en lumière la dépendance croissante du pays à la capacité d’action internationale de ses multinationales, capables d’agir là où le cadre institutionnel se montre plus lent.

Plusieurs signaux laissent penser que cette dynamique pourrait s’installer durablement:

  • Une géopolitique mondiale où le poids économique prime sur la forme diplomatique;
  • L’exposition croissante des entreprises suisses au marché américain;
  • Leur capacité d’action rapide lorsque les bénéfices sont menacés.

Mais d’autres éléments rappellent les limites d’un tel modèle:

  • L’architecture institutionnelle Suisse repose sur la légitimité politique et la démocratie directe. Un glissement durable vers une diplomatie menée par les entreprises rencontrerait rapidement une résistance constitutionnelle et sociétale.
  • Toute diplomatie parallèle soulève des enjeux de transparence
  • Toutes les questions ne peuvent être résolues par le levier des entreprises. Les négociations réglementaires, sécuritaires ou géopolitiques exigent une légitimité institutionnelle.

Pour les marchés, la leçon est claire: la Suisse semble entrer dans une ère de diplomatie économique hybride, où l’Etat et les multinationales agissent de plus en plus en tandem, parfois de manière complémentaire, parfois avec tension, pour défendre les intérêts commerciaux helvétiques.

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